Mutus Liber - L’alchimie des images

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Aude de Kerros : Aude de Kerros est née à Djakarta aux Indes Néerlandaises et a passé son enfance aux quatre coins du monde. Elle a partagé ses années d’apprentissage à Paris, entre des études à Science Po, à la faculté de Droit et la fréquentation des ateliers des (...) Lire la biographie complète


22 gravures, 22 pages d’un livre muet ici rassemblées illustrent quêtes, pérégrinations, aventures, advenues dans l’ombre de l’atelier.

Le Cuivre est inquiet tant qu’il n’est pas devenu Or »
« Crois- moi, l’image est beaucoup plus que l’image ! »
Ovide, HeroïdesXIII, 53

Nous ne verrions ni ne saurions rien du Monde s’il ne se reflétait dans le miroir de l’âme qui en recueille les mille reflets.

Il faut cependant, à la vision singulière, une main habile, pour que l’image recueillie réapparaisse avec l’aura de la splendeur entrevue. Ainsi la gravure arrime le monde au monde.

Entretien avec Aude de Kerros
Texte paru dans ORBS SPÉCIAL FÉMININ

Obrs :
Votre genèse : l’impérieuse nécessité primordiale ? L’élan initial ? Les transmissions dont vous êtes le véhicule ?

Aude de Kerros :
Mes premiers souvenirs sont d’immenses paysages, je me souviens de l’émerveillement ressenti, du besoin d’y répondre, du secours des crayons. Ma mère voyant l’énorme consommation de papier avait acheté chez l’épicier un de ses rouleaux de papier d’emballage, je n’avais plus qu’a le dérouler.

Obrs :
Pourquoi, en tant qu’art visuel, "la gravure ce n’est pas la peinture" ? Pourquoi cette technique pour vous ?

Aude de Kerros :
Le graveur anticipe ce qu’il inscrit dans le métal, le retour en arrière est difficile. Le peintre voit les formes et les images émerger de la toile et s’imposer. Quand vous gravez vous partez en voyage vers une destination connue, mais sans comprendre à l’avance pourquoi. En peinture vous êtes pris par l’élan de partir, et tout le reste est aventure.

Quand j’ai commencé à graver j’avais curieusement une image qui se formait, à l’intérieur de l’œil, comme s’il fonctionnait des deux côtés. Elle était ronde, nette, colorée, pleine d’espace et d’atmosphère. Elle s’imposait. Il fallait trouver le moyen technique de la tirer dehors.

J’ai trouvé un chemin grâce au miroir de cuivre et de zinc, aux burins, acides et vernis. Je préservais de grands espaces lisses, j’y associais des sillons, ravins, aspérités, grains, pour capter la lumière en y posant les encres. J’ai ensuite utilisé une seule plaque un seul passage sous presse, trois encrages, trois couleurs qui se superposent sans se mélanger grâce à la différence de viscosités de chaque couche. La première est encrée à la main et recouverte de deux autres couches posées à l’aide de rouleaux de densité différente. Il en résultait une vibration lumineuse de la couleur née de la transparence et du glacis.

Les images ainsi s’imposaient et se succédaient. Je découvrais leur signification, leur enchaînement beaucoup plus lentement que je ne les gravais. Une fois achevées, elles me dévoilaient un sens qui submergeait les mots. Elles faisaient remonter à la surface, ma conscience du monde, la rendaient visible. Mon intelligence ne comprenait que si ma main faisait une image.

Ainsi les images naissent avant les mots et rayonnent d’une aura. Les mots quant à eux ont pour destin, une fois dépouillés de leur poésie originelle, de devenir pur concept et fort utiles. Ce sont deux langages irremplaçables l’un et l’autre.

Je me rends compte avec le recul du temps que depuis ma plus petite enfance je vois ce qui m’entoure auréolé d’une « gloire » et qu’il en résulte le besoin intense d’y répondre immédiatement en faisant quelque chose. Si je ne le fais pas, si je ne corresponds pas à cet émerveillement, il devient douloureux, écrasant, mortel.

J’ai mis un jour une image sur cela. J’assistais à la vigile pascale, j’écoutais l’Exultet, ce chant récitatif connu depuis le 8ème siècle qui commence dans l’obscurité et accompagne l’irruption de la lumière des cierges dans les ténèbres. Une voix unique chante et dans un mouvement naturel, le chœur répond. Comment vivre, respirer, aimer, créer sans répondre, chant pour Chant ?

Obrs :
Le message "essentiel" - mais peut être "caché" - que vous souhaitez faire passer à travers vos œuvres ?

Aude de Kerros :
A vrai dire, je n’ai pas d’intention. Je suis plutôt dans l’état d’esprit d’une femme enceinte qui attend un enfant. Quand il naîtra, il aura l’être et la vie, il sera lui-même. Je ne serai que sa mère.

Créer est simple, c’est danser sur sa limite, sur le sol qui résiste, sur la contingence de la matière et la pauvreté de l’être devant la beauté incréée. Platon disait « Amour est fille de richesse et de pauvreté ».

Comme beaucoup, je pratique un art de béguinage. Dans ce refuge, j’ai installé une presse, dressé un chevalet et j’y attends la grâce de l’image. En ce lieu, j’ai congédié l’histoire qui a exclu la peinture. Je la raconte certes, mais je prends la plume après avoir soigneusement fermé la porte de l’atelier.


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